Dans le domaine des variétés végétales protégées, la question de la limitation contractuelle des exceptions au Certificat d’Obtention Végétale (COV) est cruciale. Deux grandes exceptions sont en jeu :
-
L’exception du sélectionneur, qui permet l’utilisation d’une variété protégée pour créer de nouvelles variétés sans autorisation préalable.
-
L’exception des semences de ferme, qui autorise les agriculteurs à resemer une partie de leur récolte issue d’une variété protégée, sous certaines conditions.
Ces exceptions peuvent être encadrées contractuellement, mais jusqu’où peut-on aller sans enfreindre la loi ?
1. L’Exception du Sélectionneur : Un Principe à Encadrer
Principe fondamental de l’UPOV 1991 et du règlement (CE) n° 2100/94 sur la protection communautaire des variétés végétales, l’exception du sélectionneur garantit un accès libre aux ressources génétiques pour favoriser l’innovation.
Peut-on limiter cette exception par contrat ?
1.1. Oui, mais sous conditions :
-
Exiger une autorisation préalable pour toute utilisation en sélection.
-
Imposer une compensation financière raisonnable, notamment en cas de création de variétés essentiellement dérivées.
-
Restreindre l’accès aux lignées parentales, via des clauses de confidentialité, dans le cas des hybrides.
1.2. Non, si :
-
La clause interdit totalement l’usage de la variété en sélection.
-
Elle impose des redevances disproportionnées.
-
Elle favorise certains acteurs au détriment d’autres, créant une distorsion de concurrence.
Exemple de clause abusive :
« Le licencié s’engage à ne pas utiliser la variété protégée, en tout ou partie, pour la sélection, la création ou l’amélioration de nouvelles variétés. »
→ Illégale, car elle supprime un droit fondamental.
Exemple de clause valide :
« Toute utilisation de la variété protégée à des fins de sélection devra faire l’objet d’une demande écrite et d’un accord préalable, qui ne pourra être refusé que pour des raisons objectivement justifiées. »
→ Conforme, car elle encadre sans interdire.
2. Les Semences de Ferme : Un Droit Sous Surveillance
Prévue par l’UPOV 1991 et reconnue par le droit de l’UE, l’exception des semences de ferme permet aux agriculteurs de resemer leur propre récolte issue de variétés protégées, sous réserve du versement d’une compensation équitable.
Peut-on limiter cette exception par contrat ?
2.1. Oui, à condition de :
-
Fixer une redevance raisonnable pour la réutilisation des semences.
-
Interdire la commercialisation ou l’échange de semences de ferme.
2.2. Non, si :
-
La clause interdit purement et simplement l’usage de semences de ferme.
-
La redevance exigée est équivalente au prix de semences certifiées neuves.
Exemple de clause abusive :
« L’agriculteur s’engage à ne pas pratiquer la semence de ferme avec la variété protégée, sous peine de pénalités financières. »
→ Illégale, car elle prive l’agriculteur d’un droit reconnu.
Exemple de clause valide :
« L’agriculteur s’engage à verser une compensation équitable pour toute semence de ferme issue de la variété protégée. »
→ Légale et équilibrée.
3. L’Encadrement Juridique par la CJUE
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a statué sur plusieurs affaires majeures encadrant ces limitations contractuelles :
3.1. Affaire C-305/00 – Exception du sélectionneur
-
Un contrat ne peut pas interdire totalement cette exception.
→ Toute clause supprimant ce droit est illégale.
3.2. Affaire C-509/10 – Redevances sur semences de ferme
-
Les redevances doivent être proportionnées.
→ Une clause excessive peut être annulée en justice.
3.3. Affaire C-442/17 – Accès équitable aux variétés
-
Les restrictions contractuelles ne doivent pas entraîner de discrimination.
→ Les licences doivent être accessibles selon des critères objectifs.
4. Clauses à Proscrire vs. Clauses Acceptables
Clauses à éviter | Clauses acceptables |
---|---|
Interdiction totale de l’usage en sélection | Autorisation préalable encadrée |
Redevance excessive (ex. : 50 % du chiffre d’affaires) | Redevance proportionnée (ex. : 5 % du CA net) |
Accès réservé à certains acteurs | Accès ouvert avec des critères objectifs |
Interdiction d’analyser les lignées parentales | Obligation de confidentialité pour protéger les lignées |
5. Conclusion : Trouver le Juste Équilibre
Les limitations contractuelles aux exceptions du COV sont possibles, à condition de respecter trois grands principes :
-
Proportionnalité : éviter les mesures excessives.
-
Transparence : garantir la clarté des engagements.
-
Libre concurrence : éviter toute situation monopolistique.
Les décisions de la CJUE rappellent que les clauses abusives peuvent être annulées, et que les contrats doivent concilier protection des obtentions et accès équitable aux ressources génétiques.
Recommandations :
-
Pour les titulaires de droits : privilégiez des clauses protectrices mais conformes au droit.
-
Pour les utilisateurs (sélectionneurs, agriculteurs) : lisez attentivement vos contrats et refusez les clauses abusives.